L’Association mondiale des radiodiffuseurs communautaires (AMARC) a tenu sa dixième conférence mondiale, AMARC10 du 8 au 13 novembre à Ciudad La Plata, capitale de la province de Buenos Aires, en Argentine. Rencontre de militants venus des cinq continents qui luttent pour le droit à la communication dans leurs communautés, AMARC10 fut féconde en échanges d’expériences. La reconnaissance des radios communautaires dans les législations nationales, les défis de l’aire digitale, l'inclusion des femmes et la participation des citoyens auront été des thèmes majeurs, programmés ou pas, de cette dixième rencontre mondiale. Le modèle argentin a retenu l’attention de tous et suscité l’espoir qu’il crée des émules.
Au niveau législatif, si beaucoup de législations sont désuètes face aux enjeux actuels et aux nouvelles technologies, il existe des pays où des avancées significatives ont eu lieu. C’est le cas de l’Argentine, dont on voudrait qu’il fasse école : la loi sur la communication alloue 33 % du spectre aux radios communautaires à une échelle nationale. Les deux autres tiers étant alloués aux secteurs publique et privé. Cette loi est le fruit d’une lutte commune des radios communautaires argentines pour la reconnaissance de leur légalité et leur légitimité, menée depuis près de 25 ans. L’Amarc a appuyé ce travail sur la législation en Argentine, un pays qui, suite à la dictature (1976-1983), a pourtant fait l’expérience d’une concentration très importante des médias. Depuis le mois de mars 2010 et l’entrée en application de la loi, 15.000 radios se sont présentées pour leur légalisation. En Haïti, les radios communautaires n’ont pas de reconnaissance légale, ce qui laisse leur existence à la discrétion des autorités. Un projet de loi a été déposé avec le soutien de l’Amarc, qui n’a jusqu’ici jamais été traité par les instances parlementaires du pays. Le mouvement des radios communautaires haïtiennes espère que cette question pourra être traitée au courant de la 49e législature et vont se mobiliser en ce sens pour sensibiliser les acteurs de la société civile et la population à l’importance de leur reconnaissance. Cette dernière est celle du droit d’information et de communication et de l’accès aux médias pour les citoyens. Mais une législation n’est pas tout, car dans de nombreux pays, certaines lois qui reconnaissent les radios communautaires leur interdisent de parler de politique et les cantonnent à être des radios folkloriques. En Bosnie par exemple, il existe une loi sur les radios communautaires, mais aucun fonds public ne leur est alloué et elles subissent une interdiction de publicité. « Tout cadre légal a besoin d’un soutien économique, a rappelé le journaliste espagnol Manuel Shaparo. Il faut quitter le cadre de pauvreté des radios communautaires, sinon le cadre légal ne sert à rien, a-t-il ajouté. Ce grand pas que l’on vient de faire en Argentine doit être un exemple pour les autres pays ». La législation doit aller de paire avec la régulation des médias. Il est important de ne pas cantonner les radios communautaires à un secteur amateur. Un niveau d’égalité doit être garanti pour les médias communautaires par rapport aux médias privés, via un régime de sanction, une part des publicités officielles, des limitations concernant la concentration des médias, voire la promotion de leur déconcentration à l’heure où la convergence numérique et la digitalisation vont renforcer la concentration des médias…
L’ère digitale à l’horizon
Beaucoup de craintes ont été émises quant aux défis de la digitalisation des médias, pour l’émission et la réception des messages. Ainsi des luttes victorieuses des radios communautaires pour leur place sur les ondes devraient être reprises à zéro pour leur présence sur la bande passante. Les enjeux du numérique ont été discutés lors de plusieurs ateliers. Car si les récepteurs deviennent tous digitaux (ordinateurs, téléphones, etc.), il faut se préoccuper de l’audience que pourront encore rejoindre des radios communautaires qui n’auraient pas accès au digital par manque de ressources financières pour payer leur existence sur le net. « Il y aura une bataille politique et économique dans le cadre de la digitalisation », a rappelé Emmanuel Boutterin, du Syndicat national des radios libres en France, élu vice-président d’AMARC le 12 novembre au sein du nouveau bureau d’AMARC. « Il est fort à craindre que des consortiums se créent entre opérateurs de télécommunication et fournisseurs d’accès à internet. La radio, jusqu’à présent encore média gratuit est au centre d’une réappropriation commerciale par le broadband (diffusion digitale). Il faut qu’une décision politique soit prise pour ne pas arriver à une diffusion exclusive des télécoms par l’internet, car l’expérience numérique montre qu’elle est payante pour l’auditeur et pour l’émetteur. Mais la numérisation du spectre sera un jour inévitable, car les nouveaux usages comme le podcasting font que, progressivement, les jeunes auditeurs vont sur internet pour écouter la radio., Sinon dans 20 ans nous n’aurons plus d’auditeurs ». Mais comme l’a rappelé Georges Christensen, de la Radio One en Gambie, dans des pays où il n’existe pas de réseau câblé et de téléphonie fixe, la digitalisation et l’utilisation de récepteurs digitaux et de téléphonie mobile sont des outils de démocratisation de l’information. L’audiovisuel, très coûteux dans le système analogique, a aussi beaucoup à gagner avec la digitalisation, moins coûteuse.
Le paradoxe de la participation
Lors d’une intervention dont le charisme a été salué par l’assemblée, la féministe uruguayenne Lilian Celiberti a rappelé que lorsque l’on parle de l’accès des femmes à la prise de décision, il ne s’agit pas uniquement des sphères de pouvoir du grand capitalisme décrié, mais de tous les lieux de décision, y compris ceux des mouvements sociaux. « Car il n’y a de liberté d’expression qu’avec les personnes qui ont le pouvoir de la prendre, qui sont des sujets citoyens à part entière », a-t-elle ajouté, alors que dans les ateliers la notion même de la participation et son emploi abusif face à sa réalité sur le terrain ont été souvent questionnés. Des études récentes ont montré que, si la présence des femmes a augmenté dans les médias, les avancées qualitatives sont très faibles et l’absence des femmes dans les médias comme êtres politiques est toujours remarquée. Oscar Maragola, professeur à l’université de Buenos Aires, a notamment rappelé que la participation est recherchée mais que son effectivité est bien souvent crainte car elle implique une remise en cause des rapports de pouvoir qui traversent les mouvements sociaux également. Il a aussi dénoncé dans des projets de médias communautaires mais aussi d’autres projets, l’alibi de la participation. « Les expériences de participation justifient parfois leur échec parce que les conditions ne sont pas construites pour que les gens puissent participer effectivement. On dit alors facilement : ‘les gens ne veulent pas participer’. Or, nos matrices culturelles viennent de plusieurs années de non-participation ».
Sony Estéus, représentant de l’AMARC pour la Caraïbe et directeur de la Société d’animation et de communication sociale en Haïti (SAKS) a été élu parmi les vice-présidents de l’AMARC lors des élections qui se sont tenues le 12 novembre pour le renouvellement du bureau de l’association qui siègera pour quatre ans et l’organisation de l’AMARC11.