Nouvèl FOKAL

mercredi 24 novembre 2010

Quatre chemins, rétrospective (2/2)

« Quatre Chemins En chantier » se déroulera du 1er au 14 décembre. Cette édition ne sera pas à l’image des précédentes, ou le festival était avant tout un espace de rencontre entre la création théâtrale haïtienne et le public (mettre lien sur précédente brève), mais représentera un moment de réflexion sur les pratiques théâtrales et leur rôle dans la société et la citoyenneté. Cette forme répond notamment à un souci de ne pas faire les choses comme avant, machinalement, suite à l’épreuve que traverse Haïti depuis le 12 janvier 2010. Elle marque symboliquement l’envie, toujours forte, de poursuivre le festival et pour ce faire de mieux le penser. Cette édition emboite le pas aux précédentes, pour suivre un chemin tracé depuis 2003, année de la création de Quatre chemins. Nous vous proposons ici la deuxième partie d’une rétrospective en deux parties de l’histoire du festival.  


Levée de rideau sur l’édition 2007. De nombreuses pièces sont une nouvelle fois au programme du Festival Quatre chemins, qui semble alors à l’orée d’un parcours plus stable ancré dans la durée. Plusieurs jeunes compagnies sont au rendez-vous et deviennent elles-mêmes le ciment du festival. Patrick Joseph met en scène « La demande en mariage », comédie en un acte de l’auteur russe Anton Tchekhov. Dans la salle de la FOKAL, le public rit de bon cœur et la prestation de Pascale Julio, fleurtant avec le burlesque pour interpréter Nathalia Stepanovna, la jeune fille courtisée, ravit l’assistance. A l’Institut français d’Haïti, Yvan Fox, artiste espagnol vivant en Belgique, déploie « Le sonje de Taniperla » sur la scène , et sur un cube en fer, au fur et a mesure qu’il le tourne, fait défiler les paysages du Chiapas. L’histoire commence là où elle pourrait finir, le 11 avril 1998, lorsqu’un millier de soldats de l’armée fédérale mexicaine attaquent le village de Taniperla et détruisent la maison communale et toutes les autres maisons du village. Le spectacle évoque la genèse, la réalisation et la destruction d’une peinture murale dans l’état du Chiapas, au Sud-est du Mexique. Cette fresque illustre le mode de vie et les songes de ceux qui l’ont conçue : les hommes, les femmes et les enfants de Taniperla, un village au cœur de la jungle de Lacandona. Et comme l’histoire, le spectacle ne se déroule pas tel qu’on s’y attendait : l’un des soirs de représentation, la pluie surprend les spectateurs, qui montent sur scène et s’y pressent, entourant le conteur ébahis et enchanté d’une telle attention.  


Le lundi 15 septembre 2008, alors que plusieurs cyclones s’abattent sur Haïti, s’ouvre la cinquième édition du Festival de théâtre Quatre Chemins. Comme l’écrit alors Michèle Lemoine, « nous avons hésité à le faire cette année, au vu des circonstances tragiques que traverse aujourd’hui notre pays. Nous avons aussi traversé une autre tempête, politique celle-là, longue et douloureuse. Trois mois marqués par la haine et par l’intolérance, par des atermoiements et des débats dont on se demandait s’ils avaient un sens, alors que tout un pays attendait, pour faire face aux urgences de l’heure, un gouvernement… Pendant trois mois, nous avons tout vu, tout entendu : la beauté et la laideur, le courage et la lâcheté, nous avons regardé et écouté notre pays. Nous avons contemplé tout cela, parfois avec indignation, avec effroi, parfois aussi avec émotion et respect. Et c’est pour cela que nous avons décidé que le Festival aurait lieu cette année. Parce que, comme nous le disons à chaque édition, il est le reflet de nos forces et nos faiblesses, le reflet de nous-mêmes, le miroir de notre pays. Et ce n’est pas par hasard que les textes proposés alors par les troupes sont intimement liés à ce pays et à ce que ses citoyens y vivent chaque jour. Ida, de Guy Junior Régis, présenté par la troupe Etiquette, chronique d’un homme qui raconte l’histoire d'amour entre lui et une femme, Ida, qui devient tour à tour son pays, sa ville, sa misère…; Kaselezo de Franketienne, présenté par la troupe Actelie Théâtre Création, longue et terrible métaphore sur nous-mêmes, à travers l’interminable gestation d’une femme dont l’enfant se refuse à affronter un monde terrifiant et qui ne peut accoucher d’une créature dont elle sera responsable et qu’elle ne se sent pas la force d’assumer seule ; La Répétition ou le Rond Point, présenté par la troupe lesGenart, qui parle de rendez-vous manqués, de créations impossibles, et dont le metteur en scène, Jean Fedner Joseph dit : A travers la lecture des œuvres de certains auteurs, j’ai appris à connaître le monde, à mieux comprendre les gens qui m’entourent et les problèmes auxquels nous sommes confrontés… Et aussi Le Partage du sel , créé à partir des textes de Franketienne et de Michel Philippe Lerebours, Ton Beau Capitaine de Simone Schwarz-Bart, qui parle d’exil, Histoires d’un autre temps, présenté par la Charge du Rhinocéros, qui raconte des histoires de soumission puis d’insoumission … Et aussi les lectures de textes présentés par de jeunes comédiens, qui nous rappellent sans cesse qui nous sommes, où nous sommes… Oui, tous ces textes, même ceux qui viennent d’ailleurs, sont une réflexion sur notre réalité, sur nous-mêmes … Comme si les artistes qui faisaient exister le Festival prenaient, au fil des ans, de plus en plus conscience, comme l’écrit le metteur en scène Patrick Joseph, que, en ce moment précis de la vie de notre peuple, "vu l'orage qui se prépare", nous avons besoin de regarder avec minutie notre passé pour mieux appréhender le présent et réorienter notre avenir dans le sens du partage... »  


En 2009, Angelo Destin monte La complainte d’Ewadi, de Elie Liazéré, a la FOKAL. Transposant sur scène les tentes d’un camp de refugiés fuyant la guerre en Afrique, le jeune metteur en scène y dirige la comédienne Nicole Chery qui y déploie toute son énergie. Jovaski Réjouis monte Mémoire blessée d’après Une mémoire pour l’oubli de Mahmoud Darwich. Il transpose la poésie de l’auteur palestinien dans l’enfermement que vivent les travailleurs haïtiens esclaves du sucre, isolés du monde par des murs de cannes. Il fait une chaleur extrême dans la salle du lycée des jeunes filles. Elle n’aura pas ébranlé la fougue et la foi du comédien metteur en scène, entravé par la paille du décor et la chaleur des projecteurs. DMeza Shultz Pierre-Louis joue Prof ! de Jean-Pierre Dopagne, accompagné dans la mise en scène par Louisna Laurent. Prof ! raconte l'histoire d'un jeune professeur de littérature, désabusé par le système, brisé par la violence du milieu scolaire. Sa carrière, commencée dans l'indifférence de ses collègues, l'hostilité de ses élèves et la méfiance de sa hiérarchie se terminera dans un bain de sang. Ce professeur pacifique et amoureux de la littérature finira par tirer sur ses étudiants. Condamné par la justice à une éternelle confession publique sur les planches, "Prof" retrace avec cynisme et tendresse les souffrances et les désillusions qui l'ont amené à "tirer dans le tas”. Seul le théâtre lui permettra de redonner vie à ses valeurs et de retrouver enfin sa dignité.  


Le Bleu de l’ile ! de Evelyne Trouillot est mis en scene par Rolando Etienne et sa compagnie Dram’Art sur la scene de la salle Sainte-trinite. Anatòl, de Félix Morisseau Leroy, est monté à la FOKAL par Billy Elucien et interprété par Chelson Ermoza, Carline Colagène, Clorette Jacinte, Georges Johndy et Johny Zéphirin. Ce dernier dit de cette pièce qu’elle l’a beaucoup marqué. « La pièce est exigeante car il faut éviter le folklorisme, précise-t-il. La pièce a une dimension politique et un symbolisme fort. Anatole présente une sorte d’ethnodrame, où l’acteur a le droit de partir de lui et d’inventer aussi…C’est toute la complexité de notre culture qui se dessine dans Anatole ». Un spectacle de marionnettes, La famille des pitite caille, de Justin Lhérisson, est proposé par l’Atelier Copart et mis en scène par Ernst Saint Rome. « Etres ou Bêtes », d’après La Ferme des animaux de Georges Orwell, est proposé par Le Centre Culturel Pyepoudre dans le cadre du projet « Théâtre et Marionnettes», mise en scène et adapte par France Hervé et Alexandra Melis-Shiva.  


“Moi fardeau inhérent » de Guy Régis Junior est proposé par Nous Théâtre. Ecrit et mis en scène par Guy Régis Jr, le spectacle est interprété par Nanténé Traoré. Sur la scène de la FOKAL, presque nue, se tient la comédienne. Elle est de dos. Il fait sombre et on la distingue à peine. Elle parle comme dans un cri étouffé et il faut tendre l’oreille pour l’entendre. C’est que ce qu’elle a à dire est difficile… elle est là parce qu’elle attend sous la fenêtre de l’homme qui l’a salie et violée. Enfin, La Chair du Maître est produit par La Charge du Rhinocéros et réalisée par un jeune metteur en scène français, Olivier Boudon, d'après Un Mariage à la campagne et La Chair du Maître de Danny Laferrière. Johny Zephirin, qui est l’un des cinq interprètes de cette pièce avec Francesca Merentie, Georges Johndy, Louisna Laurent et Albert Moleon, a trouve le pari de monter cette pièce en trois semaines extraordinaire. Afin de préparer le travail, toute la troupe se rend dans la région de Gonaïves, à Soukri, pour assister à un pèlerinage et pouvoir s’inspirer au mieux des gestes réels pour les besoins du spectacle.