Ce projet nourri deux objectifs principaux. D’une part, il veut permettre à la communauté des quartiers de Martissant, suite à des échanges de base (les espaces de parole) et suite à une éducation citoyenne, d’identifier plus clairement ses besoins et problèmes réels en termes de santé, d’identifier les structures existantes et de s’y orienter, d’exercer ses droits à la santé en termes d’accessibilité aux services. D’autre part, il veut contribuer, via le renforcement du Bureau Sanitaire Communal (BSC) dans son rôle de coordination et de supervision des institutions de santé, à rendre les services disponibles plus performants et mieux ancrés dans la communauté et donc, plus accessibles.
Le projet de santé communautaire de Martissant comportera ainsi deux volets. Un volet de coordination des interventions en santé dans une aire pouvant déborder la ZAC à convenir avec le Bureau Sanitaire Communal de Port-au-Prince, l’unité de coordination des services de santé de la zone qui dépend du Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). Il existe beaucoup d’intervenants dans la zone sur les questions de santé et un manque de coordination entre ces différents acteurs, alors que le secteur public est faible et de capacité réduite. Or, ce manque de coordination entraîne un déficit d’utilisation adéquate des services par la population et paradoxalement un surplus de l’offre en certaines parties de la zone à desservir alors que d’autres parties souffrent d’un manque total de services.
Le second volet, baptisé « Santé-Droit » se base sur les espaces de parole qui constituent une stratégie par laquelle est visée l’appropriation du projet par les communautés. Ce sera donc par là que le projet trouvera son aspect réellement communautaire et contribuera au développement d’une conscience citoyenne. Conceptuellement, l’unité « santé-droit » est la mise en complémentarité quasi indissociable de ce qui constitue l’ accès à une forme de citoyenneté : avoir droit à…, avoir le droit d’ exiger de…, s’ inscrire dans des règles de vie accessibles à tous : « j’ ai droit à des soins de santé mais certaines situations de santé résultant de violences ou d’abus relèvent aussi d’ un regard juridique, voire d’une sanction juridique précise… »
Contexte
Le projet de santé communautaire de Martissant se base sur des concepts de la santé allant bien au-delà d’une approche simplement médicale. Ils englobent les différents facteurs ou déterminants de la santé et perçoivent les bénéficiaires comme des acteurs d’un processus visant à l’amélioration de leur cadre de vie. Il importe donc au départ que l’on s’entende sur la définition de la santé elle-même, comme d’un « un état d’équilibre harmonieux entre l’homme, les hommes et l’environnement » (Santé publique, santé de la communauté. 1980). Il convient aussi de s’entendre sur le concept de santé communautaire. Cette notion a trop souvent été galvaudée dans notre pays en limitant le concept à la simple fourniture de services de santé (campagnes de vaccinations, activités de planification familiale,….) directement au sein des populations.
Nous partageons à ce sujet la définition de J. Monnier et coll. : « On peut parler de santé communautaire quand les membres d’une collectivité, géographique ou sociale, conscients de leur appartenance à un même groupe, réfléchissent en commun sur les problèmes de leur santé, expriment leurs besoins prioritaires et participent activement à la mise en place, au déroulement et à l’évaluation des activités les plus aptes à répondre à ces priorités ». La santé communautaire se présente ainsi à la fois comme une stratégie et un objectif. Elle est une stratégie permettant de mettre à profit les ressources de la communauté (savoir-faire, mécanismes d’adaptation au milieu, ….), de les renforcer et de les mettre en relation avec les ressources locales ou nationales afin d’améliorer l’état de santé de la collectivité. Elle est un objectif si on la conçoit comme recherchant la responsabilisation du groupe autour de ses problèmes de santé.
La santé communautaire participe donc de la recherche d’un mieux vivre ensemble. Ce vivre ensemble doit reposer sur le partage de valeurs menant à une conscience citoyenne.
Or, depuis quelques décennies on assiste en Haïti à une perte considérable du sens des valeurs, jusqu’`a celle de la vie. Les nombreuses violences de toutes sortes, politiques, sociales, d’origine naturelle (cyclones), par leur fréquence et leur intensité, par la mise en évidence de la précarité et de la fragilité de la vie, semblent l’avoir, sur fond d’un fatalisme désuet, complètement dévalorisée aux yeux de la population. Ainsi, les pertes de vies même dues à des négligences humaines sont considérées comme « normales ». En témoigne le peu d’émotions et de réactions soulevées par des accidents de la circulation fauchant d’un coup des dizaines de vie. Cette perte apparente de la valeur de la vie a même touché le personnel de la santé trop habitué (et ayant fini par s’y résigner) à des morts évitables n’ayant pas les moyens de les prévenir. Le récent séisme semble avoir subitement changé les choses. En effet les personnes valides, encore sous le choc et sous le risque des effets des répliques, ont spontanément, avec leurs maigres moyens, porté secours aux victimes restées sous les décombres essayant de les en dégager et leur donner une chance de survie. A cette occasion les professionnels de la santé se sont révélés exemplaires en dépit de la précarité de leurs moyens. Ce réveil persistera-t-il ?