Nouvèl FOKAL

mercredi 6 avril 2011

« L’héritier » et les héritages d’aujourd’hui

Y-O Dorvil / Fokal
Le samedi 2 avril, la FOKAL a organisé une conférence débat autour de la sortie du livre « Jean-Claude Duvalier, l’Héritier » de Bernard Diederich, en présence de l’auteur, de Jean-Claude Bajeux du Centre œcuménique des droits de l’homme et Michèle Pierre-Louis, présidente de la FOKAL. Ce fut surtout une occasion pour ce grand journaliste auteur de nombreux ouvrages sur les dictatures, de rappeler ce qu’avait été celle des Duvalier en Haïti face à un public majoritairement jeune, qui n’a pas connu cette période, mais ses conséquences. 

Y-O Dorvil / Fokal
En ouverture de la conférence, Michèle Pierre-Louis a tenu à rappeler un passage du livre, une note que l’auteur a écrite en préface, suite au séisme du 12 janvier 2010 : « Plus de deux cent mille êtres humains auront perdu la vie en vain, si aux voix empathiques ne se joignent pas celles qui dénoncent la déchéance des valeurs, la transmission sans autocritique de réflexes culturels néfastes, le culte de l’arbitraire et de la médiocrité, la corruption éhontée, l’individualisme avide, le clanisme. Il ne suffira pas de palabrer sans fin sur les dernières soixante années de dictatures, de faux leaderships, de piètre gestion, d’amateurisme fier. Mais nous n’aurons pas le choix de passer par là, de faire face à une réalité hideuse, trop longtemps niée. Nous devrons enfin annoncer la tombée du rideau sur notre triste comédie, sur nos jeux de masques qui ne favorisèrent jamais que diverses cliques de parvenus endogènes et exogènes, pendant que s’étendaient les favelas. » 

Y-O Dorvil / Fokal
L’exercice de ce jour était, ensemble, de mieux cerner ce qui caractérise cette dictature héréditaire des Duvalier pour mieux comprendre pourquoi Haïti est dans la situation dans laquelle elle est aujourd’hui. Car, sans nier notre part de responsabilité à tous, il s’agit aussi d’un héritage. Bernard Diederich, grand connaisseur des dictateurs pour avoir écrit la biographie de plus d’un (Somoza, Trujillo, etc…), a posé la question suivante, si difficile à résoudre : pourquoi Francois Duvalier en instaurant la dictature a-t-il voulu écraser le pays ? Il a fait allusion à ce que le journaliste et militant politique Jean Dominique disait lorsqu’il comparait Duvalier à d’autres dictateurs qui, même lorsqu’ils avaient été extrêmement répressifs, avaient une idée de la direction dans laquelle mener leur pays. Comme nous avions eu l’occasion de le découvrir avec Béchir Lamine le 26 mars à FOKAL, le dictateur Bourguiba en Tunisie réprimait les libertés et abusait d'un pouvoir sans partage… mais avait une idée de progrès pour son pays : par exemple il avait investit 30 % du budget de l’Etat dans l’éducation, ce qui a effectivement réduit l’analphabétisme à peau de chagrin. Pourquoi pas Duvalier ? La réponse, que certains tentent parfois de trouver dans une certaine vision du mal, comme a pu le dire Graham Greene, l’auteur des Comédiens, reste cependant en suspens. 

Y-O Dorvil
Plusieurs jeunes ont d’ailleurs posé la question de savoir ce que Duvalier avait fait de positif, car ils entendent encore parler de l’Haïti sous Duvalier comme d’une Haïti qui était propre alors qu’eux ont l’impression de vivre sur des amas de fatras, sans plus qu’aucun respect n’existe dans la société... Pour Bernard Diederich, la réponse est évidente : « Duvalier a mis la société haïtienne dans l’état dans lequel on la retrouve aujourd’hui ». Par exemple, c’est lui qui a expulsé la plupart des professeurs du pays, dont beaucoup d’entre eux sont allés enseigner en Afrique; lui qui a causé la disparition forcée et arbitraire de nombreux citoyens, disloqué les familles, fait régner la terreur, instillé la peur dans toute la société. 

Y-O Dorvil / Fokal
Bernard Diederich, qui a travaillé comme journaliste en Haïti via son hebdomadaire Haïti Sun (en anglais et créole) durant la dictature de François Duvalier, parle de l’équipe qui entourait celui-ci comme de véritables terroristes. D’après lui, ils savaient que la recherche du Président était celle du pouvoir absolu, et s’en accommodaient volontiers. Jean-Claude Bajeux, faisant référence au coup d’Etat militaire contre Estimé en 1950, rappelle que Duvalier s’était alors exclamé : « cela ne m’arrivera pas ». Lorsqu’il prend le pouvoir, il le prend tout entier, sans partage. Pour le défenseur des droits humains, cette vision du pouvoir, sans partage, est une hypothèse politique qui existe depuis 1804 et qui explique « notre incapacité à la démocratie ». A la veille de la prise de pouvoir de Duvalier, en 1957, le pays était extrêmement divisé entre les différents partisans des candidats au pouvoir et connaissait des affrontements violents. Duvalier devenu président va écraser toute opposition. 

Y-O Dorvil / Fokal
Le livre « L’Héritier » est le résultat de près de 10 ans de recherches et de nombreux entretiens avec Jean-Claude Duvalier, alors en exil en France. « Ce qui est frappant dans ce livre, c’est l’absence de tout sentiment de culpabilité de la part de Jean-Claude Duvalier », remarquait Michèle Pierre-Louis. Il parle de la « machine » qui était en place, et qui endosserait plus que lui la responsabilité de ses actes. Par rapport à son père, il dit que ce dernier n’a rien fait de mal, qu’il réagissait comme il le devait face à des traitres.

Pour Bernard Diederich, à partir du mariage de J. C. Duvalier avec Michèle Bennett, les inégalités vont s’accentuer fortement, et un luxe incroyable est exposé face à une misère extrême. « C’est l’époque où les internationaux disent que le pays avance. Le dictateur a l’air « cool », quand bien même il institue la terreur d’Etat. Duvalier fait passer une loi auprès des députés « j’approuve » : si vous dites que vous êtes communistes, ou si on vous soupçonne de l’être, vous atterrissez directement à Fort-Dimanche. » 

Lors de cette rencontre, plusieurs personnes sont intervenues pour rappeller l’importance de l’existence d’une justice qui face la lumière sur les actes perpétrés lors de la dictature, pas tant pour le passé mais pour construire l’avenir et mieux comprendre notre présent. Dans l’épilogue de l’Héritier (disponible à la BMC), intitulé « le passé ne meurt jamais », Bernard Diederich rappelle ceci : « L’héritage de la tyrannie est un poison que chacun respire et dans son euphorie ou dans son désespoir, la foule devient capable d’accueillir n’importe quel prophète, n’importe quel imposteur ».