Une quinzaine de jeunes du club de Camp-Perrin se sont réunis dimanche 15 mai 2011, à 10 h am, pour débattre des enjeux de l’amendement des articles sur nationalité multiple votée le lundi 9 mai par le Parlement haïtien. Cet amendement, s’il est promulgué, permettra aux Haïtiens d’adopter des nationalités étrangères autres que la nationalité haïtienne sans perdre cette dernière. L’amendement de la loi-mère a déchainé les passions chez les jeunes.
Les 2 animateurs du club ont débuté la séance par une mise en contexte de l’amendement de la Constitution de 1987, en rappelant les faits de l’actualité politique (déroulement du vote au Parlement, investiture du président Michel Martelly) et le contexte de la révision constitutionnelle (le lobbying de la diaspora haïtienne qui réclame cet amendement). Ensuite l’animateur principal a demandé aux jeunes de définir le mot « amendement ».
Amendement : définition
Selon un jeune, amender la Constitution veut dire la rénover, mais pas l’éliminer, y apporter des corrections nécessaires. Pour une jeune fille, c’est changer des lois, les modifier, adapter la Constitution avec l’évolution du temps, la mettre à jour. Correct!
A la question de savoir ce qu’ils ont retenu des amendements de la Constitution, la même fille garde en mémoire la distinction entre Haïtien de naissance (né sur le sol d’Haïti) et haïtien d’origine (né de parents haïtiens, en terre étrangère), l’intégration de la diaspora dans les affaires politiques du pays, l’intégration des femmes dans l’administration grâce au système de quota, le nivellement du mandat des parlementaires à 5 ans.
Une fille, particulièrement bien informée de la question, cite les articles 13-14-15 concernant les Haïtiens naturalisés et la double nationalité de la Constitution de 1987, qui ont été abrogés.
La même définit la double nationalité « comme la situation d’un citoyen haïtien ayant adopté une nationalité étrangère » mais précise : « Aux USA, si un enfant n’est pas déclaré à l’administration américaine dans les 3 jours après sa naissance, il ne pourra pas jouir du droit du sol ». Après avoir distribué des documents liés au sujet (extraits des articles de la Constitution de 1986 concernés par l’amendement, et 2 articles du journal Le Nouvelliste) à chacun des jeunes, les 2 animateurs les ont invités à réfléchir en ateliers, durant une trentaine de minutes, sur les 2 questions suivantes : 1. Quels sont, selon eux, les avantages de cette loi pour les bénéficiaires et le pays? 2. Quelles sont les préoccupations que cette loi suscite en eux?
Amendement : préoccupations des jeunes
Les 3 ateliers ont livré des résultats et jugements intéressants, et empreints de réalisme.
Le 1er groupe affirme que cet article favorisera l’investissement de la diaspora en Haïti, leur intégration dans le pays, les relations entre pays d’origine et pays d’accueil. Néanmoins, les jeunes de ce groupe jugent que, primo, il y a un risque d’infiltration d’un binational dans la politique d’Haïti au profit de son pays d’accueil (il serait en mission spéciale, commandée par le pays d’accueil); secundo, il y aurait des difficulté à le poursuivre devant la justice s’il se réfugie dans son pays d’accueil, après avoir commis un délit, un vol ou un crime; enfin il y aurait risque de confusion des lois dans la tête d’un binational.
[ndlr : L'article 12 du texte amendé stipule que « Tout Haïtien est soumis à l'ensemble des droits, devoirs et obligations attachés à sa nationalité haïtienne ». Selon le même article : « Aucun Haïtien ne peut faire prévaloir sa nationalité étrangère sur le territoire de la République d'Haïti»]
Le 2e groupe reconnait que cette loi facilitera le développement du pays, car elle incitera la diaspora à travailler pour Haïti, stimulera la collaboration entre leur pays d’origine et les pays d’accueil, bien que c’est à la diaspora qu’elle profite le plus puisqu’elle jouit de droits de citoyen et de libertés supérieures à l’Haïtien resté au pays, d’une plus grande liberté de circulation. Ils croient que l’article amendé peut être à la base de problèmes majeurs liés à la justice, et qu’il est une indignité pour le pays puisqu’il admet, selon leur perception, le principe qu’un Haïtien puisse rejeter ses racines.
Par contre, les articles sur la nationalité multiple font voir chez le groupe 3 une amélioration de l’image d’Haïti, un regain de confiance des binationaux envers Haïti, et la possibilité d’investissements de la diaspora dans l’éducation et la création d’emploi, une plus grande ouverture d’esprit des Haïtiens. Cependant, selon eux, ces amendements créent une forme de concurrence déloyale entre haïtien du pays et le binational qui est doublement protégé, privilégié. Un jeune a donné l’exemple paradoxal d’un binational que son pays d’accueil évacuera d’Haïti en cas de crise ou de catastrophes. Selon la perception de ces jeunes, le binational peut profiter des faiblesses des lois haïtiennes pour commettre des forfaits sur le territoire national qu’il lui serait impossible de commettre dans son pays d’accueil.
[ndlr : Selon un avocat du barreau de Port-au-Prince, tout Haïtien, même s’il détient une nationalité étrangère, peut être jugé par contumace, s’il ne se présente pas devant une cour de justice haïtienne pour répondre de ses actes. Le jour où il reviendra en Haïti, il sera arrêté et purgera sa peine comme la loi l’exige, en vertu de l’article 12 du texte amendé cité plus haut]
Par ailleurs, les 15 jeunes présents s’accordent tous sur un point : la limitation d’accès aux postes électifs et la restriction d’accès à des hautes fonctions politiques pour les Haïtiens jouissant d’une multinationalité. Ils croient que c’est une excellente mesure permettant d’éviter les dérives à cause des articles révisés ou abrogés.
[ndlr : L’amendement de la Constitution stipule que « Si les Haïtiens jouissant d'une nationalité étrangère vont pouvoir jouir de leurs droits civiques et politiques, ils ne pourront pas cependant accéder à certains postes, comme président de la République, ministre, sénateur et député »]
Débat en perspectives
Ensuite, le débat s’est éternisé sur des questionnements soulevés par les uns et les autres [une fille suggère même une enquête pour connaitre la motivation des naturalisé(e)s] et a dévié vers la loi sur les quotas de 30% de femmes dans l’administration publique et les structures politiques. Déjà un garçon pense (à tort) que c’est une loi dirigée contre le sexe masculin, une loi contre la compétence et le mérite. L’animateur du club a tôt fait de clore ce nouveau débat en promettant de l’ouvrir à leur prochaine réunion, ce week-end.
Jean-Gérard Anis, coordonnateur du projet VDF